vendredi 4 décembre 2015

Natural Funativity

Noah Falstein



source :gamasutra


Bonjour à tous. Bien que la théorie du Game Design soit une niche de niche et ne devrait intéresser qu'une minorité, la fréquentation de ce blog me pousse à reprendre du service et vous communiquer de nouveaux articles sur le sujet et en français.
Aussi, et pour encore mieux comprendre la dimension addictive que peux avoir le jeu, je vous propose ce mois-ci un article du brillant Noah Falstein, au sujet des sources de fun dans le jeu. Impossible de passer à côté de ce personnage, quand on aborde la théorie du game design. Créateur et producteur de jeux depuis 1980, Noah fut, entre autres, l'un des 10 premiers employés de LucasFilm (devenu LucasArt Entertainment). Depuis 2013, il a rejoint le groupe Google en tant que Chef Game Designer.
Il a publié un article intitulé Natural Funativity sur le site gamasutra. Cette théorie du divertissement, et plus particulièrement des jeux, nous éclaire sur l'apprentissage des compétences pour survivre. Tout comme dans la sélection naturelle (ou plus largement de parentèle), elle est basée sur les principes de l'évolution. Le terme Funativity, exprimé la première fois lorsqu'il était chez LucasFilm (voire plus bas) a été choisi par Noah pour élever le simple mot « Fun » et avoir une définition plus digne pour une analyse plus sérieuse. De l'anthropologie dans le game design? C'est parti.


Qu'est-ce qui est source de Fun dans le jeu ?


Cela semble être une question centrale dans le processus de réalisation de bons jeux. Mais c'est aussi une question insaisissable et subjective. Alors que le dictionnaire définit le fun comme une source d'amusement ou de jouissance, cela n'est pas suffisant.
Et pourtant, pendant des années nous avons créé des jeux sans vraiment comprendre pourquoi nous, les humains, trouvions certaines activités amusantes et d'autres ennuyeuses, sans intérêt, voire inutiles. Ça n'est pas très surprenant quand on sait que les humains sont aussi des créateurs artistiques depuis plus de 30000 ans et que nous sommes toujours en train d'argumenter sur la façon dont nous devons définir l'Art. Pour paraphraser de vieux dictons, nous pourrions ne pas être en mesure de décrire le Fun, mais nous savons quand nous le ressentons. Mais les concepteurs de jeux sont des êtres curieux et ces dernières années, il y a finalement eu une progression considérable pour formaliser une réponse à ce sujet. 
Lorsque LucasArt Entertainment Company était encore connue sous le nom de LucasFilm Games, notre patron était Steve Arnold, qui venait du secteur des jeux chez Atari où il a été psychologue pour enfants pendant plusieurs années. De fait, cela faisait de lui non seulement le candidat idéal pour comprendre nos jeux, mais aussi la bonne personne pour gérer et motiver notre équipe de jeunes développeurs. Une des premières choses qu'il nous a demandée lorsque nous lui avons présenté un nouveau concept de jeu à été : Quel est son Quotient de « Funativity » ?
Cette question nous a encouragée à réfléchir sur les aspects Fun de notre concept, et de se questionner sur une méthode de classification du Fun, de définition, voire de mesures. Mais comment pouvons nous percevoir les racines sous-jacentes du Fun ?

Les Passes-temps paléolithiques


Lorsque les questions sur les raisons sous-jacentes des préférences et des comportements humains arrivent, le point de départ est notre histoire évolutive. Nous partageons des références de base pour la survie et la reproduction de nos semblables. En outre, les humains ainsi que d'autres primates ont une forte dépendance vis à vis des interactions sociales qui s'établissent et nous positionnent dans nos familles et nos communautés. Pour comprendre l'évolution humaine, il est nécessaire de regarder en arrière, bien avant les quelques siècles derniers et de la technologie moderne, au delà des quelques derniers milliers d'années qui ont fait ce que nous sommes. Les scientifiques conviennent que la majorité de nos gènes ont été façonné à l'époque où nos ancêtres étaient chasseurs-cueilleurs, et par leurs prédécesseurs primates et mammifères. 

Alors, nous devons considérer la façon dont les humains vivaient il y a des dizaines de milliers d'années, et voir l'importance de la survie qui a constitué une grande partie de nos préférences génétiques.



Il est aussi nécessaire d'observer dans le passé car la technologie moderne et les signes visibles de la civilisation peuvent dissimuler ou fausser notre évolution derrière des écrits, voire des intérêts.
Prenez par exemple le goût prononcé pour les sucreries. Dans notre société moderne, le désir de sucreries a créé d'énormes problèmes d’obésité, de caries dentaire, et de diabètes précoces. Pourquoi tant de personnes ont un désir urgent de bonbons quand on sait qu'il est si néfaste pour nous ?



Si vous regardez en arrière, la réponse est limpide. La capacité à raffiner le sucre est une chose relativement nouvelle et sa production en quantité industrielle encore plus récente l'a rendu plus accessible et moins coûteuse pour l'ensemble de la population.

Pour les ancêtres chasseurs-cueilleurs, leurs envies de sucreries les ont conduit à trouver et manger des fruits et des baies mûres, qui s’avéraient bon pour eux. Ironie du sort, ces mêmes fruits sont rejetés par les enfants, à la faveur de collations et boissons sucrées beaucoup plus concentrées et moins saines. Ce principe que je vais référer comme le « Syndrome du Sucre Raffiné » ou SSR pour faire court, est également valable pour la plupart des choses que les gens font pour se divertir, et qui sont devenus moins utiles, voire dangereuses dans notre société moderne. Ceci est particulièrement pertinent quand on parle de jeux vidéo, car la technologie qui se cache derrière a permis de créer des expériences de jeux plus fortes, à la fois nouvelles dans leurs expressions, et très anciennes dans ses origines. 

Les jeux sont une forme spéciale de divertissement, et sa pratique est si profondément ancrée dans notre histoire que nous la retrouvons chez d'autres espèces. Tout le monde a pu observer des chiots ou des chatons jouer avec leurs frères et sœurs, se renverser, se mordiller, se traquer et bondir.



Voilà pour eux une façon de pratiquer des techniques de survie dont ils auront besoin une fois adultes (du moins comme leurs ancêtres avaient besoin, avant que l'homme n'en fasse des animaux de compagnie). Pour les chiens qui sont comme nous des créatures sociales, cela représente aussi une opportunité d'établir une position dominante et d'apprendre à vivre avec ses pairs.

Johan Huizinga l'a souligné dans son ouvrage Homo Ludens (terme latin pour l'homme joueur) et estime que l'action de jouer est un élément fondamental de l'humanité.



Les gens partagent cet instinct de jouer. Les cerveaux les plus brillants et nos structures sociales les plus complexes nous ont poussé à continuer à intégrer le jeu bien après notre maturité. Alors sans surprise, lorsque vous observez non seulement les jeux mais l'ensemble des divertissements humains, vous constatez que son noyau dur est associé à l'apprentissage de la survie, de la reproduction et de la nécessité d'associer les règles sociales et les comportements.

« Quiconque pense qu'il y a une différence entre l'éducation et le divertissement ne connaît pas les fondations de cette première »

Marshall McLuhan, théoricien en communication

La première fois que j'ai entendu cette citation, je l'ai trouvée exagérée, mais plus j'ai appris à propos de l'éducation et du divertissement, plus je me suis rendu compte que McLuhan avait raison. Les jeunes enfants aiment imiter les grands, leurs jeux, solo ou en groupe, qui impliquent souvent des élans comportementalistes d'adultes. Les nouveaux-nés humains naissent à un stade très précoce de développement et sont bien moins puissants par rapport à d'autres espèces, laissant le cerveau se développer à l’extérieur de l’utérus, réduisant les dangers de l'accouchement. Cela transfère le fardeau de l'apprentissage tout au long de la vie. Les activités ludiques sont bien sûr communes durant l'enfance, et les nouvelles technologies ont contribué à promouvoir les intérêts pour le jeu vidéo à l'age adulte. L'évolution rapide de notre culture mondiale a mis l'accent sur la capacité à continuer à apprendre durant toute notre existence.



Mais rappelez-vous que nous devons étudier nos ancêtres chasseurs-cueilleurs afin d'avoir une meilleure idée des influences évolutives qui ont fait ce que nous sommes aujourd'hui. Prenons l'exemple d'un chasseur de retour chez lui avec un cuissot d'antilope, capable de nourrir sa famille pendant plusieurs jours. Qu'est-il supposé faire ensuite ? La recherche moderne suggère que la culture est une méthode de subsistance très efficace, qui laisse beaucoup de temps pour d'autres tâches. Notre chasseur comblé pourrait reprendre sa tâche directement pour trouver d'autres proies à tuer. Il y a des gens qui sont poussés à chaque instant à réaliser des tâches pour survivre – nous les nommons aujourd'hui des personnalités de type A- mais la plupart des gens trouvent un point d'équilibre.

Une alternative pour notre chasseur serait de simplement se reposer, dormir ou du moins conserver sa force jusqu'à ce que son estomac gronde et le motive à braver à nouveau les dangers de la savane. Comme de travailler, nous avons tous besoin de temps de repos pour une efficacité optimale, et il y a les variations génétiques et culturelles, car certaines personnes ont plus de temps de repos que d'autres. Ce type de personnalité est également bien représentée aujourd'hui. Mais il y a une troisième alternative pour travailler ou se reposer.

« Nos devons faire quelques bricoles pour survivre, tout le reste n'est que divertissement... »

Marvin Minsky, expert en intelligence artificielle, à la GDC 24 Mars 2001

Considérons trois membres hypothétiques d'une tribu, Aagh, Bohg et Cragh. Ils reviennent d'une chasse fructueuse où un élan a été abattu à la lance, et ont rapporté suffisamment de nourriture pour subvenir aux besoins de leurs familles pendant plusieurs jours.

Aagh repart aussitôt pour aller traquer un cerf qu'il a localisé plus tôt. Il va de ce fait améliorer ses compétences pour la chasse, mais cela restera un travail qui peut s'avérer dangereux, et même si les cerfs sont des proies sans dangers pour la plupart des humains, il y a beaucoup de prédateurs dangereux. Aagh court le risque de revenir blessé par cette chasse, qui s’avérera inutile car le cerf rapporté risque de ne pas pouvoir être mangé et se gâter.

Bohg passe son temps à se détendre et a capter quelques rayons de soleil. Il est bien reposé pour une prochaine chasse, mais son tonus et sa masse musculaire est détériorée. Par contre, il a un superbe bronzage.


Étrangement, le cerveau de Cragh est différemment câblé. Il trouve particulièrement ennuyeux de ne rien faire. Il estime qu'il est plus amusant de placer en équilibre une pièce de bois sur un rocher, puis de jeter des pierres dessus jusqu'à ce que le bout de bois tombe. Tout comme Aagh, il est en train de renforcer ses compétences de survie, mais il le fait dans une zone sécurisée, proche de la maison. Comme Bohg, il est en lieu sûr, mais est en train d'améliorer ses chances de survie pour la prochaine chasse.

Au fil des centaines de milliers de générations, les gènes portés par Cragh sont plus susceptibles de se propager, et ses activités – y compris les jeux- peuvent également être transmises par le bouche à oreille dans la tribu, de génération en génération.

Cela ne signifie pas que la stratégie de survie plus proactive des Aagh ou plus passive des Bogh ne sont pas aussi utiles – les circonstances particulières et leurs évolutions comme l'approvisionnement alimentaire, les dangers des prédateurs, le climat, les attaques des tribus voisines - font que passer son temps à jouer ne sera pas tout le temps la meilleure chose à faire. Mais il est facile de constater comment le loisir s'est introduit dans notre répertoire humain d'éléments génétiques et sociétaux. La théorie de l'évolution suggère que la diversité est également une caractéristique nécessaire à la survie sur le long terme, mais il y aura toujours une majorité de personne qui préféreront les approches les plus populaires à la survie, et aussi certains individus qui auront des préférences plus obscures ou marginales.

A présent, nous avons une base solide pour une théorie qui explique pourquoi tant de personnes éprouvent du plaisir dans les activités de loisirs qui d'une manière ou d'une autre ont affinées les techniques de survie de leurs ancêtres.
La théorie Natural Funativity

Comme le sait la plupart des développeurs de jeux expérimentés, l'une des tâches les plus complexes est de choisir un nom approprié et cette théorie ne fait pas exception. Dérober.... c'est ça, emprunter à d'autres sources est une méthode courante. De la théorie de l'évolution de Darwin, nous obtenons le processus de sélection naturelle, et en le croisant avec la question de Steve Arnold « Quel est le Quotient de Funativity ? », nous obtenons naturellement le nom de Funativity. Mais qu'est-ce que ça veut dire ? Il est plus trivial de l'expliquer en sectionnant cette théorie en trois domaines de base.
Le Fun physique

L'endroit le plus simple pour retrouver un lien entre notre patrimoine et les jeux de l'évolution et du divertissement est dans la dimension physique. Notre principale pulsion est l'instinct de survie. Tout ce qui menace directement notre survie commande automatiquement toute notre attention. Il n'est donc pas surprenant que les jeux et la plupart des divertissements font appel aux thèmes de la survie pour capter l'attention du joueur.

L'utilisation de cette espace physique dans le divertissement contribue indéniablement à la réalisation de films, de livres, d'émissions de télévision, de nouveaux topiques et bien sûr les jeux qui s'orientent sur les activités des soldats, des criminels, de la police et de tous ce qui traitent des questions de la vie et de la mort. Tout ce qui se rapporte aux menaces contre la survie et le succès (ou l'échec) tentant de contrer ces dangers est susceptible d'attirer un large public. Comme le montre la parabole de Aagh, Bohg, et Crahg, il est parfaitement logique que nous soyons connectés par l'évolution pour bénéficier de l'amélioration de nos compétences de survie, de la même façon qu'il est parfaitement logique que les premiers humains qui ont perfectionné ces compétences étaient en premier lieu plus susceptibles de survivre et être nos ancêtres.

Certains facteurs liés à la capacité de survie dans une société de chasseurs-cueilleurs étaient la force physique et une bonne coordination. Cela explique pourquoi les activités sportives sont si populaires au sein de la plupart des cultures, et que celles qui mettent l'accent sur la force physique et la coordination de l'équipe (une peu comme le combat ou la chasse tribale ritualisée) sont d'un intérêt particulier pour les hommes.

Les sports individuels comme le jogging, la natation ou le cyclisme ont un intérêt général et tous aident à bâtir de la force et de l'endurance.


Dans un autre exemple où on applique aux jeux le SSR (Syndrôme du Sucre Raffiné), le désir de gagner en habileté pour échapper rapidement aux possibles prédateurs, animal ou humain, ou pourchasser des proies, est transféré dans la course à grande vitesse, non seulement à pied, mais à vélo, à moto, en voiture, voiliers, bateaux à moteur, et à peu près n'importe quel autre moyen de transport. Nos ancêtres n'avaient pas d'instinct pour convoiter des moteurs à combustion de 450cc, mais nous avons hérité du désir d'être en mesure de se déplacer plus rapidement par tous les moyens disponibles. Et même si les voitures sont beaucoup trop récentes pour avoir modifié nos gènes, nos ancêtres ont utilisé des outils pendant plus d'un million d'années, assez longtemps pour favoriser une appréciation des plus performants d'entre eux.

Au delà des sports qui ont rendus certaines aptitudes physiques abstraites, la maîtrise de la compétence de la chasse est aussi populaire. Le jeu sur PC Deer Hunter a eu un succès surprenant en 1997, et aujourd'hui, certains hommes d'affaires japonais quittent leurs réunions lorsque leurs téléphones portables les bipent pour signaler qu'ils ont accroché un poisson virtuel et qu'ils doivent mouliner pour le pécher. La plupart des jeux populaires n'ont pas besoin de se concentrer sur la complexité fantastique ou la science-fiction, voire des graphismes pointus en 3D si ils peuvent développer cette fascination pour la survie de base, comme certaines émissions de Télé-réalité.

Mais le Fun physique n'est pas seulement valable pour les caractéristiques de la chasse des chasseurs-cueilleurs. Il y a un grand nombre de divertissements populaires qui impliquent la collecte. Les casinos parés avec des machines à sous sont une métaphore de la cueillette de baies, raffinée et abstraite, avec une contrainte liée au SSR. Les gens décorent leur habitation avec des plaques commémoratives, des canards en céramique, ou des animaux en peluche. Et dans le jeux vidéo, depuis que Pacman a commencé à engloutir des petits points, nous sommes passés à la collecte de petits cœurs, de pièces de monnaies et d'étoiles, les RPG populaires encouragent les joueurs à recueillir des centaines d'articles, et bien sûr, il y a Pokemon et son « Gotta Catch'em all ».




D'autres activités physiques sont associées à nos instincts de survie.



L'exploration est une composante populaire pour de nombreux jeux, que ce soit le désir de découvrir des endroits exotiques en allant loin, ou une exploration plus locale, en trouvant les meilleurs endroits pour obtenir des ressources spécifiques, trouver des commerçants sympas, des coins et des recoins plus sécurisés. Enrichir ses connaissances des environs immédiats et une compétence de survie cooptée par des jeux comme les RTS, RPG, et FPS. Tous ces jeux sont aussi associés à une autre compétence qui remonte à la préhistoire, soit depuis plus d'un million d'années et qui concerne la maîtrise des outils. Beaucoup de jeux sont axés sur l'utilisation d'outils, les jeux en solo ou multijoueurs, les jeux de rôles impliquent une utilisation omniprésente des armes de poing, des jeux plus abstraits comme les simulateurs de machines complexes (ndlt : Flight Simulator), les jeux de courses et autres simulateurs de véhicules militaires. Nous pouvons même faire valoir que tous les jeux vidéo qui utilisent les contrôleurs de base des consoles ou le clavier et la souris du PC sont en train de développer nos coordinations œil/mains et l'utilisation d'outils de compétences.


Les nouveaux dispositifs d'interfaces vont encore plus loin en développant des possibilités qui vont au-delà des outils manuels. Il est intéressant de noter que le fun physique est d'une certaine façon, lié à notre posture debout qui a libéré l'usage des mains il y a des millions d'années.

Ce changement de posture a également rendu possible une autre activité physique populaire dans de nombreuses cultures et que nous retrouvons chez nos lointains ancêtres : la danse. Même si il a fallu de nombreuses années pour que les jeux poussent les « canapés-patates » et les ermites à se bouger sur DDR (Dance Dance Revolution), la popularité de ces jeux est maintenant assurée, et l'arrivée de nouveaux périphériques comme l'EyeToy semble destinés à encourager l'élargissement de cette gamme. Ces dispositifs d'interface ajoutent également de l'interaction plus dynamique au monde réel ente les joueurs autour de la même console, un facteur pertinent pour les techniques sociales de survie. Bien entendu, il y a d'autres possibilités encore inexplorées, ou d'autres formes de divertissements populaires qui finiront par migrer dans le domaine du jeu vidéo.
Le Fun Social

L'évolution ne se concentre pas uniquement sur la survie des individus, mais aussi sur la question de la reproduction et de toutes les questions connexes sur la façon de séduire le sexe opposé. Pendant de nombreuses années, les jeux ont limité la possibilité d'explorer cette dynamique et ses prouesses dans des combats n'ont pas été particulièrement reconnu pour attirer le public féminin. Mais l'avènement des MMO et la possibilité de jouer des jeux solo avec des paramètres de groupes sont en train de modifier la donne. 

Les téléphones portables, la messagerie instantanée et les jeux basés sur la localisation qui mettent les gens en contact les uns avec les autres dans le monde réel sont de nature à développer les aspects sociaux des jeux vidéos.


Nous sommes des créatures tribales, formant des groupes qui constamment s'observent et communiquent avec l'autre. Nous partageons ces traits avec nos cousins primates, mais nous développons un degré plus élevé que les chimpanzés ou les gorilles ne peuvent faire.


Nous passons beaucoup de temps à communiquer les uns avec les autres. Ceci est un élément relativement nouveau pour les jeux vidéo, et il y a beaucoup de formes non-ludiques de divertissements basées sur différents types de fun social.


Il y a des rassemblements sociaux comme avec les courses, le commerce de toute sorte, les échanges sur la façon de dénicher de bonnes affaires, ou bien de trouver les meilleures fêtes, et des rencontres juste pour aller s'amuser ou bavarder avec des amis.

Le développement du langage dans sa forme parlé nous a permis d'ajouter un éléments de transmission sur notre capacité à acquérir des compétences de survie et des informations clef. Nous n'avons plus besoin d'essayer quelque chose pour apprendre à son sujet, nous pouvons lire ou entendre parler de ce sujet. Avec l'innovation, les témoignages des gens montrent comment diffuser des histoires libérées de certaines étapes initiales, les plus anciennes histoires de survivants et les poèmes épiques montrent que les questions de survie et de préservation de la camaraderie ont été de tout temps d'un grand intérêt. Raconter une histoire est une première catégorie de réalité virtuelle, elle est tellement intégrée dans notre culture de tous les jours que nous la prenons pour acquis.

Cette capacité unique pour transmettre des histoires et apprendre ainsi des leçons pratiques, morales et sociales importantes est inestimable pour nous.

Depuis le développement de représentations graphiques et d'écritures, nous avons acquis l’expérience de l'histoire sans même avoir eu besoin d'un accès direct au conteur d'origine, et même plus récemment par le biais de l'imprimerie, des films et de la télévision, nous vivons littéralement les histoires des autres, et leurs différentes variantes narratives correspondent à présent aux formes préférées de divertissement des peuples.


En rappelant le principe fondamental de la Natural Funativity, il est aisé de voir également que c'est aussi associé aux façons dont nous apprenons à gérer les situations critiques pour notre survie, notre reproduction, et leurs équivalents sociaux qui dans la société humaine sont souvent liés à la position sociale.

Les jeux ont exploité le fun social de plusieurs façons. Beaucoup de jeux contiennent une forme d'histoire ou au moins des personnages tirés de récits, en démarrant avec une ébauche d'aventure, puis s'orientant vers un jeux de rôle ou d'aventure/action comme Half-Life ou Halo.

L’accroissement du mode multijoueurs, du MMO, et des mondes persistants a fortement développé le volume d'expériences sociales ludiques possible, en intégrant des communautés virtuelles, des tribus, et même des amitiés ou mariages dans le monde réel.

Les MMO comme Everquest, Star Wars Galaxies, et Dark Age of Camelot, ou encore des jeux plus simples comme les Sims ont développé l'inspiration pour raconter des histoires dans les chatrooms sur internet. Ces tendances sociales sont susceptibles de se prolonger à la fois sur les nouveaux outils surdimensionnés tels que les smartphones ou les système de localisation qui sont de plus en plus adaptés au domaine du jeu, et également avec d'autres tendances telles que le haut débit, l'IA et la reconnaissance vocale qui forment tous de nouvelles variétés d'interactions sociales possibles.


Les Sims en particulier porte une attention spécifique, car ce jeu repose beaucoup sur la capacité pour les personnes d'observer et de manipuler les conditions, reproductives et conservatrices de base de la vie quotidienne. Certains jeux multijoueurs qui ont un large auditoire ne sont pas nécessairement de coûteux MMORPG, mais plutôt de simples jeux de carte sous Flash comme le Poker ou la Dame de Pique qui sont généralement un prétexte pour communiquer entre joueurs via le texte ou la voix.

La plupart des jeux de société les plus populaires ont des dimensions sociales semblables qui sont au moins aussi importants que leurs jetons ou leurs dés.

Et même si le Fun physique est associé à des outils tenant compte de notre posture verticale, le Fun sociale est lui associé à un autre élément humain important qui est notre habilité à parler. Mais cela ne recouvre pas toutes les formes de Fun. Bon, certaines formes de divertissements populaires associent librement les éléments physique et sociaux. Les sports d'équipe ont cette composition manifeste, et les gens ne s'investissent pas seulement dans la dimension sportive mais aussi dans la culture d'une activité sociale en étant spectateurs et le commentant. De la même façon, les gens peuvent passer autant voire plus de temps à papoter de shopping pour savoir où ils pourront obtenir les meilleurs rapports qualité/prix que d'aller dehors pour les avoir.

Les rituels de séduction qui peuvent inclure la danse, les sorties pour dîner, voir des spectacles, des films ou des concerts, fusionnent les aspects physiques et sociaux. Les MMO fournissent également dans le jeu un spectre d'activités mélangeant la simulation physique active, l'interaction sociale réelle, le regroupement, la conversation, ainsi que le statut social et subjectif.

Mais il y a d'autres formes de Fun qui ne rentrent pas dans ces moules. Dans le domaine des jeux, il en est un très populaire et touchant tout public qui semble n'avoir aucune connexion avec le Fun physique ou social, c'est le Tetris.


Tetris était très populaire et fut l'un des rares jeux à avoir intéressé aussi bien les filles que les garçons. Il y a une petite fonctionnalité physique associée au fun dans Tetris, mais faire tourner et assembler des formes ne prend pas en compte la valeur des heures passées à jouer. L'action principale est très éloignée de l'action du chasseur-cueilleur, comme c'est le cas pour tant d'autres jeux populaires, sans parler de l'exploration ou de la narration. En fait, Tetris est à peu près sans histoire, comme un jeu peut l'être. Et pourtant, ce jeu est un moyen idéal pour développer des compétences de survie dans un domaine spécifique aux humains. Elles impliquent un organe que vous êtes en train d'utiliser.
Le Fun mental

La réponse vient de la taille de nos cerveaux. Même si nous utilisons notre intelligence à des fins physiques et sociales, il y a tout un ensemble de divertissements, dont un bon nombre de jeux vidéo, qui se concentrent sur le mental. Nous pratiquons et améliorons nos capacités mentales lors de nos loisirs tout comme nous entraînons nos muscles et construisons nos relations sociales. Cela colle parfaitement avec nos caractéristiques d'humains, comme nos cerveaux, qui sont sans doute la singularité la plus importante que nous ayons, avec une structure plus complexe (proportionnellement à notre corps) que le reste du règne animal. Notre intelligence, nos mains, les capacités des outils et le langage se complètent mutuellement et il est difficile de les dissocier car ils se sont développés dans le récit historique.


La grande taille de nos cerveaux et l'intelligence ont assurément pour nos ancêtres rendu possible la capacité de concevoir des outils plus complexes et variés, et le développement de langages fonctionnels.

Notre utilisation des outils et la capacité des chasseurs-cueilleurs à se coordonner par le biais du langage a de toute évidence contribué à rendre nos ancêtres plus performants dans leurs activités, et ainsi optimiser le volume de nourriture récolté pour favoriser la croissance de nos cerveaux (qui utilisent une part disproportionnée de notre énergie alimentaire).

Notre habilité à parler nous a permis de transmettre notre maîtrise de fabrication d'outils, et nous a accorder de pouvoir vivre socialement, de coopérer pour atteindre certains des défis produits par la grosseur de nos cerveaux, comme la difficulté à donner naissance et la nécessité d'assister les enfants qui restent dépendants plus longtemps que la plupart des jeunes vivants.

L'origine de l'intelligence se trouve dans la perception et la manipulation de modèles. Tetris excelle dans ce registre. En fait, ce fut l'observation du Game Designer Brian Moriarty (designer de Beyond Zork et Loom) qui déclara qu'il a été poussé à ces réalisations car « les gens adorent trouver des modèles dans les choses. »

Il y a d'autres jeux qui excellent dans ce registre, comme Bejeweled, les mots croisés, les puzzles, les énigmes ou la physique comme le Rubik's Cube. Même la bonne musique est une forme de plaisir mental, puisqu'elle est calquée sur la poésie et son chant est modelé sur les mots. La théorie de Natural Funativity nous suggère que les jeux de réflexion devraient nous enseigner des choses qui ont été utiles pour nos ancêtres des cavernes. Et bien que la mécanique de Tetris soit de caler au mieux des tronçons pour préserver une zone d'action maximum et survivre, sa fonction plus abstraite et très utile est de reconnaître et agir rapidement sur des modèles.




En considérant l'importance que cela a du être pour nos ancêtres de localiser l'antilope du troupeau qui boitait en observant ses empreintes, ou l'estimation rapide pour trouver les baies mûres, tout en évitant les épines, de discerner les champignons comestibles des toxiques, ou repérer les subtiles indices de couleurs et de formes qui indiquent qu'un tigre à dents de sabre est tapi dans les buissons. Celà nous aide à expliquer la valeur du Natural Funativity dans divers passe-temps qui ont peu de valeur de survie évidente mais qui implique la reconnaissance des formes et d'appréciation de collections de timbres ou de pièces et de l'appréciation de toutes formes artistiques et musicales. Les bénefices de survie ne viennent pas de la collection de pièces ou de CDs à proprement parlé, mais du fun mental procuré par la reconnaissance des formes. C'est une gymnastique pour le cerveau.
Fun mixé

Il a été plaisant de décomposer ces trois catégories, bien que dans la pratique, la plupart des formes de divertissement combinent deux ou trois prismes continus. Par exemple, le Baseball a ses aspects physiques évidents, comme le lancer, la saisie, la frappe et la course, des aspects sociales de coopération, de compétition, de l'historique des exploits des joueurs ou des équipes, et d'aspects liés au mental, des statistiques et des règles, autant que les évaluations faites en une fraction de seconde et les décisions que de nombreux joueurs de baseball doivent prendre pendant le match. Pour prendre un exemple de jeu vidéo, un MMORPG comme Everquest, il combine les aspects physiques directs à l'aide du clavier et de la souris avec la simulation physique du mouvement et du combat dans un environnement 3D, les aspects sociaux du travail d'équipe, des conversations, les guildes, le statut, la coopération, la compétition, la dimension mentale dans la quête de victoire, la planification de stratégies en fonction des caractères individuels et leurs niveaux d'avancement, ou de tactique à des moments précis.

L'application de la théorie du Natural Funativity

Comme promis dans l'introduction de cet article, il existe de nombreuses méthodes pour appliquer cette théorie de façon pratique dans le développement de jeux. Tout d'abord, une compréhension de la raison pour laquelle nos instincts de survie nous ont fasciné dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs peut nous aider à évaluer de nouveaux concepts de jeux, ou bien en augmentant l'attrait des concepts existants. En associant le jeu aux aspects clef de la chasse, la cueillette, l'exploration, l'interaction et le statut social, nous pouvons grâce à ces modèles capter l'attention d'un grand nombre de joueurs et faire des jeux plus fun.

Réaliser que l'instinct de survie qui a été façonné durant des millénaires dans le veld d'Afrique, et adapté à l'évolution de notre société moderne nous aide à comprendre l'attraction de toutes sortes de types de jeux et des mécanismes de gameplay. L'attrait pour le jeu de course Gran Turismo peut semblé bien loin du veld africain, mais lorsqu'on se rappelle de SSR, nous pouvons voir que l'envie physique d'apprendre à se déplacer aussi rapidement que possible, l'appel social pour rivaliser avec nos pairs et acquérir un statut et une reconnaissance, l'appel mental pour percevoir en permanence des modifications dans une course et agir sur cet état instantanément et au mieux nous connectent à notre préhistoire.

Dans mon activité freelance de concepteur, j'ai commencé à utiliser cette théorie pour m'aider à avoir un aperçu des alternatives à développer lorsque je suis en milieu de production de jeu, ou pour analyser les forces et faiblesses d'un jeu en cours de développement. Aussi longtemps que toute discussion purement subjective se limite à un « Je le saurai quand je le verrai », il est très difficile de parvenir à un consensus ou de prendre des décisions sur une base objective, mais cela devient beaucoup plus facile lorsqu'une fonction envisageable sur un jeu peut-être mesurée par rapport à sa capacité à fournir du fun physique, social et mental tel que décrit plus haut. Il est également particulièrement utile pour évaluer le succès d'un titre rival populaire. Certains développeurs de jeux peu imaginatifs pensent qu'il suffit de développer des fonctionnalités qui ont été bien vendues dans le passé, sans remettre en question les éléments qui ont rendu populaires ces jeux, avec le risque d'extraire les aspects les moins fun du jeu. Une meilleure compréhension de la nature du fun rend ce processus beaucoup plus pratique. 
Autres formes de fun


Est-ce que toutes les formes de divertissement sont expliquées par la théorie du Natural Funativity ? Je dois encore trouver des exceptions notables. L'humour, inclu les blagues, les jeux de mots et même les gamelles burlesques sont un cas à part, dans la mesure où le rire est un signal destiné à alerter les autres membres du groupe de l'innocuité d'une menace parasite (opinion partagée par VS Ramachandran, dans son ouvrage Phantoms in the Brain : Probing the Mysteries of the Human Mind), la théorie du Natural Funativity est aussi logique dans la description du besoin non seulement de divertissement, mais aussi de nombreux autres domaines d'intérêts plus graves pour l'humain, comme l'art, la musique, certaines addictions, même la science et la religion, mais allant au-delà de la portée du présent article.

Nombre d'auteurs ont leurs propres avis sur les divers aspects du fun et de ses origines. Jon Boorstin dans son livre The Hollywood Eye dissèque le film en trois éléments: le voyeurisme, autrui, et le viscéral (la logique du film, son maintien émotionnel et la vibration viscérale qu'il suscite) qui correspondent au Natural Funativity du fun physique, social et mental.


Les ouvrages de Steven Pinker sont très formateurs, notamment à propos du fonctionnement de l'esprit. Et puis d'autres concepteurs de jeux ont aussi sondé ce domaine, comme Raph Koster, Chris Crawford, Nicole Lazzaro, Jesse Schell, et Brain Upton.


L'avenir du Funativity

Ou cela va t-il mener dans le futur ? Bien que certaines personnes aient des idées pour créer une formule, même un programme pour multiplier les concepts de jeux, voire d'analyser de manière exhaustive l'évaluation des jeux, je pense que c'est un effet secondaire qui n'a pas de sens, du fait que le développement de jeu est un métier pluridisciplinaire qui comprends un grand nombre de programmeurs et d'ingénieurs. Les jeux vidéos sont des logiciels, mais sont également au cœur des préoccupations des points psychologiques, créatifs et subtiles, comme les romans, pièces de théâtre et films, et je pense que les gens vont rejeter toute tentative trop mécanique pour les codifier. Mais comme les autres formes plus anciennes de divertissement, il est clair que nous en apprenons davantage sur la structure et la grammaire interne des jeux et de l'interactivité. 

Alors que de nombreux chercheurs se concentrent sur les jeux et que de plus en plus de collèges et d'universités offrent des cours dans le développement du jeu, il est inévitable que la connaissance autour du Fun va se développer. Je compte bien aussi trouver de plus en plus de terrains d'entente avec d'autres développeurs issus d'autres formes de divertissement, comme la génétique. 

Une fois que l'on observe la surface, il est évident que nous avons beaucoup plus de points communs que suggèrent nos caractéristiques. Je m'attends à voir les principes du Natural Funativity de plus en plus utilisés pour réaliser des jeux fun. Et qui sait – un jour nous pourrons même apprendre à définir et mesurer cet insaisissable Quotient de Funativity.


Traduction : Céline Bernardeau