samedi 18 avril 2015

Comment réaliser un prototype de jeu 

en moins de 7 jours

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Par Kyle Gray, Kyle Gabler, Shalin Shodhan, et Matt Kucic



Source : gamasutra.com


A propos des auteurs : 
Kyle Gray est le développeur de Little Inferno et un des fondateurs de the Experimental Gameplay Project, un site qui propose de « découvrir de nouvelles formes de gameplay ». Kyle Gabler est connu en tant que co-fondateur du studio indie 2D BOY et la force créative derrière World of Goo. Il est également un des fondateurs de the Experimental Gameplay Project. 
Shalin Shodhan est un développeur indépendant qui passe son temps à concevoir et réaliser des prototypes de jeux. Sa recette est simple : re-jouabilité + interactions de compétition = fun addictif.
Matt Kucic a plusieurs casquettes. Si son activité première est de se concentrer sur la programmation et les systèmes de gameplay, il gère également l'aspect artistique. Du prototype à la finition, il fait partie de l'équipe de SchellGames qui est spécialisée dans la création d'expériences interactives nouvelles. 
Dans la première partie de cet article, ils nous sensibilisent à l'importance de la pré-production : le setup, la prise de risque, la nécessité d’itérations courtes, et de cadrer sa créativité, le travail en équipe et les limites du brainstorming pour générer des idées.

Voici une idée folle de jeu : associer un amalgame de boules molles qui piaillent, pour bâtir une tour géante de plus en plus haute. Elles se tortillent et pouffent de rire et s'escaladent en s'appuyant sur leurs frangines, mais prudence ! C'est une bataille constante contre la gravité, si vous construisez une tour trop instable, elle va totalement s'effondrer.



Tower of Goo a été téléchargé plus de 100.000 fois dans les mois qui ont suivi sa sortie sur le net. Il a été sacré « Jeu Internet du Mois » dans un magazine, et des démos sur G4 et à l'atelier Expermitental Gameplay de la GDC ont été réalisées. Il faisait partie de plus de 50 jeux que nous avons utilisé pour l' Experimetal Gameplay Project au centre Carnegie Mellon's Entertainment Technology.
Et comme les autres jeux, il a été réalisé par une seule personne en moins d'une semaine. 
Le projet a débuté au printemps 2005, avec pour objectif de concevoir et de créer rapidement un prototype jouable avec le maximum de nouveauté en terme de gameplay. Constituée d'une équipe de quatre étudiants diplômés, nous nous sommes enfermés dans un pièce tout un semestre, avec trois règles :


1 - Chaque jeu devra être réalisé en moins de 7 jours, 

2 - Chaque jeu devra être créé par une personne unique, 

3 - Chaque jeu devra être conçu autour d'un thème commun comme la gravité, la végétation, la dispersion etc.


Alors que le projet prenait forme, nous avons été agréablement surpris par le taux de téléchargement, l'intérêt des magazines de jeux, et les mêmes questions posées par les professionnels de l'industrie et les chercheurs.



Comment réalisez-vous si vite vos jeux ?
Comment pouvons-nous faire pareil ?


On a mis tout ça à plat. Au travers des conseils, exemples et astuces suivantes, nous allons aborder les méthodes qui ont fonctionné ou non. 
Nous allons rapidement vous immerger dans le processus de réalisation d'un prototype, vous expliquer comment mettre en place une équipe efficace, et par où commencer si vous songez à concevoir quelque chose de nouveau, sans savoir comment. 
Nous espérons que ces directives que nous avons testées vous seront utiles pour votre prochain projet, petit ou grand. 
Pour faciliter la lecture des trucs et astuces, nous les avons organisées en 4 sections : 1. Setup, 2. Conception, 3. Développement, et 4. Gameplay Global. Enjoy !

1. Le setup rapide est un état d'esprit

Le prototypage rapide est bien plus qu'un outil fonctionnel en pré-production.
Ça peut-être un art de vivre ! Cette section va mettre en avant comment démarrer et commencer à penser comme un "prototypeur" efficace.




Faites-vous à l'idée de la possibilité d'un échec. Cela développe la prise de risque créative.

Tout tourne autour de ce fauteur de trouble que nous appelons « risque ». 
Aussi loin qu'on peut l'observer, la peur de l'échec est la raison pour laquelle les licences de films et et de jeux continuent d'être développées.

C'est comme si vous choisissiez d'aller systématiquement au McDo plutôt que d'aller découvrir un nouveau restaurant. C'est toujours plus sûr de choisir sur une option fonctionnelle et maîtrisée plutôt que de prendre le risque de se plonger dans un inconnu potentiellement délicieux.


Un prototypage rapide mettra en avant que le plantage est gérable. C'est à cela qu'il sert, alors soyez fou !


Si vous capotez, cela arrivera des dizaines de fois, et de toute façon vous apprendrez quelque chose.


En se faisant à l'idée d'un échec possible, vous tirerez profits de vos expérimentations.

Respecter des cycles de développement courts (Plus de temps = Plus de qualité).



« Hey, on a fait un super jeu en une semaine !
Du coup, si on en passe une de plus, il sera DEUX fois plus chouette! ».
Et bien sûr, ça ne fonctionne pas ainsi.


En général, nous avons observé que toute idée de gameplay pouvait être réalisée sous forme de prototype en moins d'une semaine.
Alors qu'un laps de temps supplémentaire tend à générer des rendements décroissants. Par exemple, certains prototypes sont réalisables en une soirée, alors que d'autres ont besoin d'une ou deux semaines d'attention.

Étonnamment, nous n'avons noté aucune corrélation entre le temps passé pour le développement d'un jeu et sa réussite avérée.

Modérer sa créativité pour la dépasser

Nos jeux les plus populaire sont nés de thèmes spécifiques ou de « jouets » comme la gravité, la dispersion, ou encore la réalisation d'un jeu ciblé pour un public féminin de joueuses occasionnelles.

Pour résumer, il est plus simple d'être créatif lorsqu'il y a des contraintes.

De plus, en ayant une équipe restreinte de personnes générant simultanément des prototypes autour d'un thème défini, nous nous sommes épargné l'utilisation de mécaniques génériques de gameplay. Au lieu de ça, nous devions relever le challenge d'explorer à fond un thème avec toutes les formes possibles de gameplay qu'il pouvait offrir.
En fin de projet, nous avons évolué vers un modèle différent, à nos dépens. Sans contraintes thématiques solides, les jeux mettent un temps fou à être développés.
N'ayant plus de direction, l'unité du groupe s'est détériorée. Nous n'avions plus l'impression d'être « tous ensemble ». Et pire encore, nous avions perdu le sens de la compétition amicale, qui était source de créativité et de justesse.
Parmi les thèmes que nous avons explorés, il y avait « la gravité », « la source », « l'évolution », « la musique », « le chat et la souris », « les jeux addictifs », « le dessin », « la croissance exponentielle », « la végétation », « l'équilibre », et quelques autres encore.
Il est recommandé de mettre en place une équipe plutôt sympa.



L'état d'esprit est aussi important que le talent.

Chaque membre de l'équipe devra se sentir à l'aise avec l'ensemble des aspects du développement. Chacun sera responsable de la qualité de son propre programme, création graphique, musique et toutes autres petites choses qui seront intégrées dans le produit final. Mais le talent ne fait pas tout.
Idéalement, il était préférable pour tout le monde d'avoir cette approche de développement, et de comprendre que la conception est primordiale.
Tout le reste, de la technique à l’ingénierie n'est là que pour servir la conception finale.


Le plus grand ingénieur qui n'a pas cette état d'esprit sera probablement moins performant que celui, moins brillant, qui aura parfaitement assimilé ce point.


JesseSchell, conseiller sur le projet a eu ces mots :

« Je suis toujours fasciné par le processus de génération d'idées de jeux de nouvelle génération. Et donc naturellement, j'ai été emballé par les propositions de Shalin, Matt et les Kyles.
J'en ai profité pour observer les expériences sous contrôle dans le processus créatif, espérant qu'il y aurait des leçons intéressantes à en tirer. En tant que conseiller pédagogique, j'ai tenté de faire en sorte que l'équipe explore plusieurs techniques, qu'elle apprenne de ses erreurs, que personne ne bloque trop longtemps sur une idée qui ne fonctionne pas , et que chacun trouve son processus optimal de création ».
« J'ai aussi fait des propositions sur la façon d'améliorer les jeux, mais la plupart du temps, je restais en retrait. Je me sentais un peu comme un jardinier qui arrose de temps en temps, désherbe, mais laissais la gestion de la floraison à l'équipe. Comme le démontre cet article, l'équipe a su en tirer quelques conclusions très utiles, et conclure avec de bons jeux pour démarrer !
Il y a toujours beaucoup à apprendre sur l’optimisation du processus de création, et le Centre de
 Carnegie Mellon EntertainmentTechnology prévoit de poursuivre ce projet ».

Développer en parallèle pour irradier au maximum


Dès que nous avons constitué notre équipe, qu'avons-nous fait ? Nous avons arrêté de travailler ensemble ! Ça peut sembler étrange, mais les bénéfices d'une absence de collaboration étaient trop bons pour être ignorés :

Atténuation des risques

En développant simultanément quatre prototypes, nous pouvions prendre des risques au niveau de la conception, avec l'idée qu'au moins un ou deux d'entre eux soient susceptibles d'être réussi.

Compétition amicale

Tout le monde tire des bénéfices à prendre des risques, comme tout bon capitaliste !

Exploration thématique plus large

Les quatre cerveaux en ébullition sur un même thème nous ont obligés à explorer à fond chaque rubrique. Ça aurait été la honte si nous avions tous les quatre fait le même jeu ! Cela nous a amené à visiter d'enrichissantes contrées de la créativité, et nous a permis d'éviter des accrochages.

Partage et Entraide : 

Si nous ne partageons pas nos codes (par choix, pas par obligation) nous avons constaté qu'il était utile de comprendre et partager des concepts dans un même panier. Par exemple, si un membre de l'équipe découvrait un moyen efficace de gérer la physique des ressorts, tout le monde pourrait en bénéficier.
Alors que les semaines passaient, nous avons découvert que ce travail d'équipe était prolifique en début et en fin de chaque itération.
Au début de chaque cycle, les échanges ont été utiles pour comparer et consolider les idées. Une fois que nous étions dans le développement, nous avions mutuellement constaté que les échanges étaient plus une distraction qu'autre chose, dans la mesure où tout le monde était immergé dans son travail. 
A la fin de chaque cycle, on se retrouvait tous ensemble à bosser jusqu'au petit matin, animés par la compétition.
Le graphisme de ce phénomène pourrait ressembler à ceci :



2. Conception : Créativité et le Mythe du Brainstorming.

Une excellent idée peut surgir en une fraction de seconde, mais prendre des jours à arriver. Il n'y a pas pire que de se forcer à trouver une bonne idée à développer, mais cette partie devrait vous aider à réveiller votre créativité.




Le brainstorming formel a 0% de chance d'être un succès.

– les mecs, on veut un brainstorming pour bosser!-
Alors on a organisé des brainstormings et pffff, on a essayé avec différents feutres de couleur, sur des tableaux vierges, et des post-it surdimensionnées. On a même utilisé des dictons comme « penser en dehors du cadre ». Mais au final, de tous les jeux que nous avons crées, aucun n'était issu de nos sessions brainstorming.


Et cela a eu un impact sur notre façon de fonctionner, mais après quelques investigations, il est apparu que nous ne pouvions pas planifier la créativité. Vous ne pouvez pas dire :

« Hey, on se retrouve tous à 4h15 pour un brainstorming et à 5h00, on aura 4 idées de génie pour des jeux qui vont tout péter, tout défoncer ! ».Mamba Nation

Tout cela n'est pas vain. Il y a (au moins) deux choses raisonnables que vous pouvez attendre d'une session de brainstorming :


La première bien sûr, c'est que cela oblige tout le monde à cogiter. Et parfois, en rentrant à la maison, ou sous la douche, ou en allant balader son chien, une idée lumineuse jaillit de votre tête.




Ou bien peut-être que non. Mais pour autant que nous sachons, votre mystérieux cerveau réfléchit énormément lorsque vous vous y attendez le moins.
La seconde raison que nous avons trouvé utile dans le brainstorming était qu'il permettait de parler de chose concrète . Par exemple, « Comment pouvons-nous améliorer tel point ? », plutôt que « Allons-y avec un truc au pif ».
Autre exemple, le groupe a été utile pour étoffer une idée de jeu à moitié formalisée. Tout le monde est bien meilleur critique que créateur, n'est-ce pas ?

Recueillir des concepts artistiques et musicaux pour créer un cible émotionnelle

Comme alternative au brainstorming, nous avons constaté que collecter de façon personnelle de la musique et des sources artistiques diverses était particulièrement fructueux.
Les gens ont commenté sur beaucoup de jeux comme Gravitiy Head, ou Rainy Day, soulignant qu'ils généraient une ambiance forte et un gros appel émotionnel.
Ce n'est pas un hasard. Dans ces jeux et beaucoup d'autres, le sound design et le game art combinés créent une sensation qui a beaucoup orienté la création du gameplay. De l'histoire, et de la finalité.
M. Gabler : « L'idée derrière Tower of Goo est venu alors que j'écoutais (pour une quelconque raison) l'ouverture d'Astor Piazzolla « Tango Apasionado en rentrant à la maison, et j'ai eu cette vision brumeuse d'une ville au coucher du soleil, ou tout le monde sortait de leurs maisons, portant des chaises, des tables, et tout ce qui pouvait être utilisé pour bâtir une tour géante au centre de la ville.





Je ne comprenais pas exactement pourquoi, mais ils voulaient aller de plus en plus haut, mais n'étant pas de très bons architectes, ils devaient être aidés.
Le prototype final a été un petit peu plus fun, et le sound design avec Piazzolla a été un peu plus rythmé que Libertango, mais voici un cas où l'émotion initiale a été le fondement du jeu.

Simuler votre cerveau : pré-concevoir un prototype avant Le prototype

C'est très facile ! Tout ce que vous avez à faire est d'imaginer votre public disant : « Woaou ! ». Ensuite travailler en amont et combler les vides. Quelle avantages tirent-ils de votre jeu ? Quelles émotions ressentent-ils ? Que ce passe t-il dans le jeu pour qu'ils se sentent ainsi ?
Dans la plupart de nos jeux à succès, ça n'a jamais été une surprise de les voire évoluer vers quelque chose d'amusant à jouer.
Dans les meilleurs cas, nous savions avant d'avoir tapé la première ligne de code que l'idée était solide, parce que nous avions effectué une simulation de jeu comme une petite expérience intellectuelle préalable.
L'inverse est également vrai. Il n'y a pas de jeu qui de manière imprévue ou accidentelle soit devenu un succès. Nous le savions toujours dès le départ (malheureusement, cela ne nous a pas empêché de poursuivre le développement d'idées qui n'étaient pas suffisamment mûries).


Le fait de stimuler votre cerveau rendra la réalisation du prototype final vraiment plus simple.

Dans la mesure où vous savez exactement ce que vous allez faire, vous ne perdrez plus de temps à réaliser des analyses et des erreurs de conception coûteuses, en pédalant dans le code.
Un des membres de l'équipe reconnaît que : «Il n'était pas rare de perdre les 3 ou 4 premiers jours de la semaine en regardant des clips d'O-Zone pour trouver « l'inspiration » ou squatter un pouf, en écoutant de la musique laissant vagabonder mon cerveau pour le simuler par quelques concepts à la noix.




Et puis, le jeudi ou le vendredi, la panique commençait à m'envahir et je n'avais toujours pas d'idée sur ce que j'allais concevoir pour lundi. Alors je choisissais l'idée la plus pertinente qui m'inspirait et la gonflait, sans prendre en compte les idées de la semaine, jusqu'à ce que cela devienne un plaisir de jouer, puis restais éveillé les jours suivants à taper du code sur l'ordinateur et dessiner de belles images. 
Pour moi, (et je pense pour tout le monde), les jours passés en pré-production étaient assurément plus précieux que les journées passées sur le réel développement. »