dimanche 15 mars 2015

Passer à la vitesse supérieure : 

Animal Crossing 

Katsuya Eguchi



Katsuya Eguchi est un game designer, directeur, et producteur japonais de jeu vidéo. Il est la tête pensante d'Animal Crossing, initialement prévu pour la Nintendo 64DD, avant d'être adapté pour la Nintendo 64, la GameCube et la Nintendo DS. Cette dernière version a été vendue à des millions d'exemplaires dans le monde. Lors de la GDC de 2006, le site Gamasutra a eu un entretien avec Eguchi, à propos de ses choix de conception, sa vie de famille, et peut-être plus intéressant encore, ses plans pour la version Wii d'Animal Crossing.


Katsuya Eguchi
Source : gamasutra.com

Gamasutra : Avant tout, pourquoi ma petite amie ne peut pas s'arrêter de jouer à Animal Crossing ?
Katsuya Eguchi : (rires) Je ne pense pas que vous devriez être inquiet, vous avez vraiment de la chance ! Jouez ensemble !

G : Mais elle a envahie ma ville !
KE : Eh bien, oui, c'est pas de chance.

G : Parfois j'ai le sentiment que le jeu pénalise ceux qui ne jouent pas. Bien que la version Wild World est un peu plus indulgente que la version originale. Comment conciliez-vous cela ?
KE : Je ne souhaite pas vraiment que les joueurs se sentent pénalisés de ne pas jouer. Ceci étant, si vous n'êtes pas venu depuis un moment, les mauvaises herbes vont se développer et des parasites peuvent envahir la ville. Alors que le jeu ne vous oblige à rien, si vous voulez maintenir votre ville et votre maison en bon état, il est recommandé de s'y rendre régulièrement. Mais il n'y a pas beaucoup d'éléments que nous avons intégrés pour décourager le joueur. Rien de majeur en tout cas. On ne cherche pas à démotiver les gens. Mais s'ils sont contrariés par ce qui pourrait se passer, ça peut les obliger à revenir plus régulièrement dans le jeu.
Et la nature de ce jeu est l'entretien d'un site. Un peu comme dans la vie réelle, il y a des choses ennuyeuses. Mais nous avons délibérément éviter d'intégrer des types de situations désastreuses. Il n'y a pas de tremblement de terre, de tempêtes qui fragiliseraient vos bâtiments ou ce genre de choses.

G : Pensez-vous que le jeu tend à renforcer de façon positive ou négative l'investissement du joueur ?
KE : Lorsque les gens jouent ensemble, si par exemple vous venez visiter ma ville, et vous vous exclamez : « Woaow, excellent la conception de ta ville, ta maison, tes vêtements, et tes meubles », et vous ajoutez « Ta déco est cool ». Alors évidemment, vous allez être positivement motivé pour continuer de jouer. Et je pense que c'est une source d'inspiration pour ceux qui font ces éloges, pour aller de l'avant et placer la barre plus haut pour épater les visiteurs. Alors oui, c'est plutôt un investissement positif.

G : J'ai noté une chose à un certain moment que la collection semble être le point essentiel que vous pouvez accomplir, en terme d'objectif traditionnel à atteindre dans un jeu (par opposition à la réorganisation de vos accessoires). La collection compulsive a l'air d'être un dénominateur commun aux jeux Nintendo, et semble supposer que les joueurs seront partant pour le faire. Pensez-vous qu'il puisse y avoir un meilleur moyen d'y parvenir?
KE : Eh bien, il est évident qu'il y a des personnes qui veulent tout collecter. Mais je suis persuadé qu'il s'agit d'un style d'approche du jeu. Et encore, nous n'avons pas vraiment conçu le jeu dans l'idée que ce serait le principal objectif. De plus nous avons imaginé le jeu de telle sorte que vous ne puissiez jamais tout collecter. Vous devrez visiter les villes des autres joueurs si vous voulez faire la même chose. Vous devrez alors entrer en contact avec les autres joueurs humains pour y parvenir, et la communication devient une sorte de véhicule pour atteindre votre objectif.

G : Qu'est-ce qui vous a inspiré pour concevoir ce type de jeu ? Je pense plus particulièrement au démarrage du jeu pour s'immerger dans des simulations sociales.
KE : Les jeux que j'ai réalisés avant Animal Crossing ont toujours été difficiles à terminer. Et je pensais qu'en vieillissant ces jeux deviendraient trop compliqués ! Ils étaient aussi plus complexes à réaliser. Alors j'ai voulu faire des jeux qui seraient un peu plus proches de quelque chose que des gens de mon âge – absolument tous les gens - puissent jouer.
C'est une raison. Une autre est que je rentre toujours très tard à la maison, et ma famille jouent aux jeux, et jouaient parfois encore lorsque je rentrais la nuit. Et je me suis dit : ils jouent aux jeux, et je joue aux jeux, mais nous ne jouons pas ensemble. Ça serait bien de pouvoir vivre une expérience de jeu et même si nous ne pourrions pas jouer en même temps, partager quelque chose ensemble.
Donc ça serait quelque chose que les enfants pourraient jouer après l'école, et que je pourrais aussi jouer quand je rentrerai tard à la maison, où je ferai partie de ce qu'ils feront quand je ne serai pas là. Et en même temps ils pourraient voir les choses que j'ai réalisées. C'était une forme de volonté de créer un espace où ma famille et moi-même pourraient davantage interagir, même si nous ne jouions pas au même moment.

Animal Crossing Wild World pour la DS
G : Que pensez-vous des autres jeux basés sur la communication ?
KE : Je n'ai pas vraiment d'opinion sur des jeux spécifiques, mais en les observant comme des jeux qui tendent à rassembler les gens ensemble, je pense qu'il y a une multitude d'approches, et chacune de celles qui fonctionnent me semble correct. J'espère juste que les gens continuent d'essayer de nouvelles approches.
Il y a une chose que j'espère qui est que l'industrie du jeu progressent vers un gameplay qui soit accessible à tous. On ne veux pas se retrouver dans une situation où les gens qui commencent depuis le début ont du bon temps, puis progressent et c'est tout, et des gens qui arrivent en cours de partie qui se retrouvent dominés par des joueurs vétérans qui contrôlent absolument tout. Il risque d'y avoir des barrières qui vont limiter l'implication des joueurs. Alors j'aimerai vraiment voire des jeux qui n'ont pas d'âge, de genre, ou de frontières raciales.

G : Faites vous référence au MMOs ?
KE : Oui. Bon, bien sûr il y a des jeux fantastiques dans ce domaine, c'est juste que pour moi, même si je trouve un intérêt dans un jeu, c'est difficile de s'investir. C'est trop intimidant, et la barrière est placée trop haute pour l'intégrer. Les premiers mois, certains de ces jeux sont difficiles à appréhender avant d'être accessibles.

G : Que s'est-il passé avec le bug de la tulipe rouge ?

KE : Je peux affirmer que ce n'était pas quelque chose en relation avec nos serveurs qui auraient été hackés. Mais nous avons fait en sorte que cela ne se reproduise plus. Je suis vraiment désolé pour ceux qui ont eu leurs maisons endommagées à cause de cela.

G : Un de mes amis a volontairement modifié le temps de sa ville de trois semaine, histoire de voir ce qui allait se passer. Il a redémarrer sans sauvegarder, puis a modifié son horloge pour revenir en arrière. Lorsqu'il est revenu, sa ville était envahie par les mauvaises herbes. Pourquoi avez-vous intégrer ça dans votre jeu ?
KE : Eh bien la première chose est que nous savions que les gens seraient mobiles dans le temps – et c'est bien ! Si les gens le souhaitent, c'est une façon de jouer. Mais ce qu'il faut noter est que le jeu est basé sur cadre naturel, alors si vous vous déplacez dans le temps, la nature va reprendre ses droits, les plantes vont mourir, ce genre de choses. Donc ce qui se passe lorsque vous démarrez vote jeu, il fait une sauvegarde à l'endroit où vous êtes. Alors si vous faites un bon en sauvegardant l'état du jeu trois semaines dans le futur, le jeu considérera qu'aucun soin n'aura été apporté pendant ce laps de temps. Cela n'a pas été conçu ainsi pour punir les gens, mais cela démontre qu'il est dangereux de voyager dans le temps !

Animal Crossing pour la Gamecube
G : A propos de la version Wii d'Animal Crossing, ça à l'air d'être sympa de laisser les joueurs créer leurs propres mobiliers.
KE : Je pense que cette idée est géniale. Bien sûr, si vous créez vos propres meubles, vous allez vouloir les partager avec les autres, être capable de donner et recevoir des objets fait-main. Sinon pourquoi le feriez vous ? Pour être capable de faire ça, vous devez les fabriquer dans certains endroits pour les conserver. Le volume de sauvegarde des données va alors être énorme. Et pourtant c'est un challenge que j'aimerais relever.

G : Que pensez-vous de l'idée de stocker ces créations sur les serveurs de Nintendo, puisqu'il y aura dans un premier temps un contenu téléchargeable ?
KE : Oui, ça pourrait fonctionner.

G : Pouvez-vous nous dire si cela interagira avec la version DS ?
KE : Hmm, je ne suis pas certain si c'est même quelque chose que je souhaite. Je ne sais même pas si c'est possible, ou si nous le souhaitons. Honnêtement, je ne sais pas ce que nous allons faire.

G : Quelle est la possibilité de permettre le stockage de meubles comme pour la version DS ?
KE : Je ne pense pas qu'il y ai un espace dédié pour ça sur la carte DS, mais je pense que quelque chose de similaire ne sera pas hors sujet sur la Wii. En utilisant le concept de console virtuelle, ou les serveurs comme vous le mentionnez, nous devrions être capable de fournir plus de contenu pour les gens. Je ne peux écarter cette option.

G : J'ai interrogé Keita Takahashi au sujet de la Wii, et il a déclaré qu'il n'était pas intéressé, et que l'accent était trop mis sur le contrôleur. Êtes vous inquiet à l'idée que Nintendo puisse faire peur à certains développeurs ?
KE : Eh bien, c'est certain que nous ne voulons pas que les gens pensent cela. Aujourd'hui, la plupart des informations disponibles de Nintendo concernent le contrôleur, donc ça devrait aller dans ce sens. Plus nous nous rapprochons de la date de lancement, plus les informations seront disponibles pour faciliter la lecture. Il y a d'autres éléments, des choses qu'assurément je ne connais pas ! Je pense que lorsque ça sortira, les développeurs diront : «  Oh, vous pouvez faire ça ? ». Ils sont vraiment en train de créer de nouvelles voies pour jouer, et je souhaite que mes partenaires développeurs réaliseront que nous sommes en train de le faire.
G : Vous avez l'air d'avoir créer beaucoup de jeux qui mettent en avant les animaux. Vous les aimez vraiment ?
KE : (rires), ouai, je les aime !
G : Quels sont vos préférés ?
KE : Hmm, difficile de répondre, mais probablement les chats.
G : moi aussi.